Rap US
West VS East
East Coast VS West Coast dans les 90’s, petite comparaison entre le Rap Hardcore de la côte Est et le Gangsta Rap de la West.
Ce mois-ci, on vous parle du plus grand antagonisme dans le Rap Game de ces 25 dernières années : la East Coast contre la West Coast dans les années 90.
D’un côté le Rap Hardcore estampillé East Coast, de l’autre le Gangsta Rap, porté par la West Coast, le tout en une petite comparaison non exhaustive en 10 points, accompagnée d’une playlist qui ravivera votre street credibility à n’en point douter.
West Coast
East Coast
Petite histoire
Pour devenir un pro au trivial pursuit, voici quelques liens de morceaux dans leurs contextes
Les labels : Bad Boys vs Death Row
Fondé par Dr Dre et Suge Knight en 1991, Death Row Records s’impose rapidement comme le plus puissant label du Rap Game. Le premier album solo de Dre, The Chronic sorti en 92, est un énorme succès, qui va au passage lancer la carrière de ce bon vieux Snoop Doggy Dogg qui a grandement participé à l’album. Un an plus tard son Doggystyle, toujours produit par Dre, est dans les bacs. En moins de 5 ans, le label vend plus de 50 millions d’albums dans le monde.
Côté Est, Puff Daddy fonde en 93 Bad Boys Records et s’érige en concurrent naturel de Death Row sur le plan musical et médiatique, porté par les rivalités Biggie/Tupac et P Daddy/Suge Knight. La rivalité Est/Ouest est attisée par les médias qui profitent de l’antagonisme entre les deux labels.
En 1995, Suge Knight accepte de payer la caution de Tupac (emprisonné pour agression sexuelle) s’élevant à 1,4 millions de $, en échange de la production de deux albums sous le label Death Row, All Eyez On Me et The Don Killuminati : The 7 Day Theory.
En juin 1996, lassé des conflits entre les deux labels, Dr Dre quitte Death Row pour monter Aftermath. S’en suit une descente aux enfers pour le label, avec la mort de Tupac, l’incarcération de Suge et le départ de Snoop.
Malgré la mort de Notorious BIG en 1997, Bad Boys garde la tête hors de l’eau avec l’arrivée de nouveaux artistes comme LOX ou Mase, et grâce à la sortie de No Way Out de Puff Daddy, album, composé de 5 singles. I’ll Be Missing You, hommage à Biggie, est la première chanson rap à avoir atteint la première place du Billboard Hot 100.
Accusé de nombreuse fois par la justice pour des problèmes de gestion et de relations avec le trafic de drogue, Death Row doit aussi supporter d’importants problèmes financiers. Le label dépose le bilan en 2006 et est vendu aux enchères au groupe WIDEawake Entertainment.
De son côté Bad Boys survit toujours quoique moribond ces dernières années.
La rivalité Biggie / Tupac
Malgré les rivalités géographiques qui opposent le rap américain, Tupac et Biggie reconnaissent leur travail respectif et lient une amitié.
Mais leur relation dérape lorsque Tupac reçoit cinq balles lors d’un enregistrement à New-York. Il accuse immédiatement Biggie et P.Diddy qui nieront leur implication. Quelques mois plus tard, Tupac découvre le morceau Who shot ya de Notorious BIG, qu’il interprète comme une preuve de son acte.
Parallèlement, la notoriété Notorious BIG explose, ce qui n’arrange rien à la haine qu’éprouve Tupac à son égard. Ce dernier sort en 1996 le morceau Hit ‘Em Up où il attaque Bad Boy Records et prétend avoir couché avec la femme de Biggie. Cela pousse la rivalité à son comble, opposant les deux rappeurs et leurs labels respectifs à coup de bataille médiatique.
Finalement, Tupac sera assassiné quelques semaines plus tard, mort qui sera suivie par celle de Biggie un an après, sonnant par une fin tragique la rivalité entre les deux rappeurs.
Les textes
Si le Gangsta Rap a autant été décrié depuis son existence, c’est bien pour les thèmes abordés par les rappeurs. Sexe, violence, drogue, homophobie, proxénétisme, misogynie, argent, haine de la police, en bref, thug life à outrance. Devant tant de tolérance, les textes des intégristes Rastafari pourraient presque être utilisés en petites classes pour l’apprentissage de la lecture.
Les thèmes du Gangsta Rap ont donc pour objectif de rappeler aux auditeurs qu’ils écoutent des mecs un peu violents, aux fréquentations assez peu recommandables, et aux activités relativement licites. La West Side Connection de l’illustre Ice Cube et son The Gangsta, The Killa, and The Dope Dealer résume plutôt bien tout cela.
On peut considérer qu’il véhicule de « mauvaises » valeurs, mais le Gangsta Rap ne peut pas être réduit à une apologie de la violence et du crime organisé. Le Gangsta Rap à la fois exhibe et dénonce des excès, une réalité sociale des ghettos et les injustices du traitement policier dont sont victimes les afro-américains, dans les grandes lignes.
Ce serait oublier le rap plus « conscient » de la East, parfaitement illustré par un artiste infiniment respectable pour son œuvre et son histoire : KRS-One, (qui au festival de Dour a éclairé la foule par cette phrase « Rap is the music, Hip-Hop is what you live »).
Il est difficile de généraliser chaque côte à quelques clichés, mais dans l’ensemble, la East Coast présente un rap plus profond et sombre (parfois politisé) que la West Coast, qui porte l’étiquette d’un rap plus détendu et festif par ses liens avec le Funk.
Les productions
Côté sonorités, l’Ouest et l’Est des States se distinguent par les origines qui ont influencé les deux mouvements. Si à l’Ouest on va chercher dans le Gangsta-Funk, la côte Est se caractérise plutôt par des influences Jazz et Soul.
Avec le G-Funk, claviers, synthé, instruments à vent et voix féminines sont à l’honneur. C’est à l’harmonie des rythmes qu’on accorde le plus d’importance, le flow est assez lent et les samples utilisés sont rejoués en live. Des rythmes dansants donc, inspirés principalement du grand Clinton et ses mythiques groupes Parliament et Funkadelic, une quinzaine d’années auparavant.
Au contraire, le rap East Coast donne davantage la priorité aux paroles qu’aux sonorités. Tout se joue sur une écoute attentive des paroles, et on y retrouve un son plus jazz et sombre, où les mélodies sont moins présentes.
Les clips
Côté West, ambiance funky familiale en perspective. Quoi de mieux pour accompagner du G-Funk que des boules bien ronds, des gars sûrs postés sur le bord de la piscine et des blunts interminables?
Côté Est on fait pas vraiment péter le budget production, c’est sombre et rudimentaire, les 2 gaillards de Das EFX s’aventurent dans les sous-terrains new-yorkais, à base de pioches, de masques à gaz et de rats. A regarder les clips on aurait plutôt en vie de se la toucher dans les contrées ensoleillées de L.A., mais chacun ses goûts!
Gangs et Violence
Le Hip-Hop des années 90 est indissociable de la culture de gangs (d’où le terme de Gangsta Rap). L’appartenance aux gangs est d’ailleurs l’élément liant des rappeurs de l’époque.
Les gangs se différencient par des codes vestimentaires propres, comme pour les Bloods et les Crips, les deux gangs les plus connus de l’époque. Tous deux issus de Compton, ils se distinguent par leurs codes couleur, le rouge pour les Bloods, le bleu pour les Crips. La plupart de ces gangs se sont formés entre 1969 et 1970, leurs activités se résumant essentiellement aux trafics divers, et au proxénétisme.
Les guerres de territoire et d’influence sont plutôt meurtrières, pas étonnant étant donné les calibres à leur disposition. Pour la petite histoire, les Bloods sont en fait un regroupement de plusieurs petits gangs, pour faire face à l’hégémonie des Crips, qui dans les années 70 étaient en guerre contre à peu près tout le monde. D’ailleurs, la plus grosse rivalité n’est même pas celle des Bloods et des Crips, qui ont donné leurs noms aux fameuses danses plus connues sous les noms de “B Walk” et de “C Walk”, mais au sein même du gang des Crips, où les dissensions internes sont très fortes.
Côté Est, New York est depuis longtemps le terrain de jeu du crime organisé. Dans les années 80, l’avènement de la culture Hip-Hop à travers le graffiti et la danse tendait à éloigner la jeunesse de la violence, mais la nature antagonique du Hip-Hop a repris le dessus dans les années 90 avec la formation de nouveaux gangs qui marquent leur territoire par l’art du graffiti. On recense pas moins de 55 gangs juste pour le Bronx, et 16 pour Brooklyn. Le système de gangs est donc assez différent d’une côte à l’autre, pas de « mastodontes » à l’Est, plutôt un système atomisé, contrairement à l’Ouest.
Les “lieux saints”
“Compton, compton, ain’t no city quite like miiiine”. Dre résume bien l’esprit, s’il y a bien une mecque du peu-ra c’est cette banlieue devenue mythique de Los Angeles (LA qui est d’ailleurs bien illustrée par ce clip diablement oldschool de Cypress Hill, avec un B-Real tout maigre, ça date).
Bon, on n’est pas là pour causer socio-démographie, mais cela va sans dire que c’est typiquement un foyer urbain très cosmopolite avec 56,84 % d’afro-américains et 40 % d’hispaniques aka le lieu idéal pour fomenter sa créativité revendicatrice de la street. Le décor est planté, allées pavillonaires, palmiers et gros sunshine.
On en vient quand même à statuer des évidences mais tu penses Compton, tu penses Brooklyn, Queens, Harlem, Bronx et ainsi de suite…
J’espère que c’est clair pour tout le monde mais le hip-hop est quand même né dans ce p’tit bout de bitume qu’est la grosse pomme.
Environnement tout à fait différent, on parle là d’une jungle urbaine assez hostile et oppressante, parce qu’au fond, c’est ça leur réalité. Sans oublier les terrains de basket du ghetto, sur lesquels Big Pun ne tentait déjà plus les dunks à 1 an de sa mort (RIP à ce gros monsieur parti trop vite).
Les voitures
Comment mieux exhiber sa réussite aux Etats-Unis que par un gros bolide ? A part une sextape, c’est difficile.
Les rappeurs raffolent de gros gamos, et à l’instar de nos rappeurs nationaux, ils préfèrent le tape à l’œil à la Twingo.
En termes de voitures, c’est la West Coast qui fait le plus preuve d’une identité forte, empruntée aux chicanos : les lowriders.
Qui dit lowride dit voiture basse, ce sont de vieilles voitures des années 60-70 (typiquement la Chevrolet Impala) très longues et tunées avec des suspensions hydrauliques qui permettent à la voiture de sauter, monter, descendre, bref c’est du tuning pour se faire remarquer.
Côté Est, pas de grande tendance qui se dégage si ce n’est un goût prononcé pour les bagnoles de luxe, comme en atteste le clip de Fat Joe dans sa grosse Bentley.
Les modes vestimentaires
“Wipe the sweat off my dome, spit the phlegm on the streets / Suede timbs on my feet makes my cipher complete”.
En 1994, si Nike domine le marché des sneakers, Nas impose sa paire de Timberland, déjà portées par le Wu Tang ou Gangstarr, et il le clame dans The World is Yours.
Partout les rappeurs se distinguent par leur style vestimentaire. Les fringues larges et taille basse, le maillot de foot américain en jersey et le hoodie mettent tout le monde d’accord. Aux pieds, on trouve surtout du Timberland, du Nike. En haut, on affiche fièrement un logo Ralph Lauren, Tommy Hilfiger ou Calvin Klein, des marques qui profitent de cette image véhiculée par Snoop Dogg, Coolio ou encore Puff Daddy, qu’on retrouve vite sur les panneaux publicitaires.
A l’Ouest, N.W.A s’affirme une fois de plus comme pionniers d’une certaine mode. Un pantalon Dickies, une chemise large à carreaux, des Converse All Star aux pieds et une casquette de baseball, le parfait attirail du West Coast Gangsta rapper. À L.A, influence mexicaine oblige, on n’oublie pas son bandana et on multiplie les tatouages à l’encre noire.
Pour autant, cette importance accordée au style vestimentaire et au look ne fait pas l’unanimité. “Us will always sing the blues, ‘cause all we care about is hairstyles and tennis shoes.” lâchera Ice Cube, n’hésitant pas à ironiser sur les Noirs-Américains qui chantent le blues tout en étant obnubilés par ce côté matérialiste.
L’héritage
Dès la fin des années 90, l’ère du G-Funk décline, et les rappeurs de la West Coast font place à un mouvement plus underground, comme un peu partout ailleurs.
L’héritage des sonorités de l’Ouest se retrouve chez des artistes comme les Black Eyed Peas, dont la percée réelle ne se fera que par l’adoption d’un style plus commercial, mais surtout chez Kendrick Lamar, tout droit issu de Compton et marchant sur les traces de ses prédécesseurs Coolio, Ice Cube et Easy-E, et avant tout de son mentor Tupac.
L’héritage gangsta-rap est aujourd’hui plus marqué à l’Est qu’à l’Ouest.
Dès le début des années 2000, des rappeurs tels que 50 Cent et Eminem, déjà présents dans les 90’s, sont en pleine ascension aux côtés des Dr Dre, Snoop Dogg ou Ice Cube dont la réputation n’est plus à faire.
Ces derniers revendiquent une certaine continuité avec une époque qui s’éteint au même rythme que ses plus grandes figures, et c’est d’ailleurs lors de ces revendications que la rivalité entre Nas et Jay Z sera à son apogée.
Après la mort de Biggie Small en 1997, qui peut assumer le titre du nouveau “King of New York” ? Une bataille finalement gagnée par l’industrie musicale, puisque c’est en s’invitant mutuellement sur scène et en faisant signer Nas sur Def Jam, le label de Jay-Z, que les deux hommes enterrent la hache de guerre.